Prédication du 19 juillet 2020 par Daniel Geiser–Oppliger
Je vous salue avec une confession de Saint Augustin : « Bien tard je t’ai aimée,ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Oh beauté toi qui élève, qui illumine notre imago dei ! » = notre image de Dieu que nous portons.
Dieu est beau – Il est la beauté même – Dieu aime la beauté – il est l’artiste par excellence de la beauté.
La beauté de Dieu est infinie et éternelle – La beauté console, elle conduit dans l‘éternité. Le mot utilisé grec dans le Nouveau Testament est doxa et en hébreu la plupart kāvôd mais aussi Tôv, et jāfæh.
Genèse 1, 31 : Et Dieu regarda tout ce qu’il avait fait. Et il vit que c’était très beau – très bon.
Genèse 2, 9 : Et l’Eternel Dieu fit germer du sol toutes sortes de beaux arbres agréables à la vue.
Psaume 90, 16 : Que nous puissions voir tes belles actions, que nos enfants découvrent ta beauté !
Ezéchiel 1, 28 : La lumière de l’arc-en-ciel qui brille dans les nuages un jour de pluie. C’est le reflet de la beauté (la gloire) du Seigneur. J’ai vu tout cela, je me suis incliné.
Jean 1, 14 : La Parole est devenue un humain (chaire), et il a habité parmi nous. Nous avons vu sa beauté (sa doxa, sa gloire). Cette beauté, il la reçoit du Père. C’est la beauté du fils unique, plein d’amour et de vérité. Tes vêtements sont lumière.
Vous aviez choisi comme thème pour le premier trimestre : Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité. – À mon manque de foi ! Viens raviver et ranimer ma petite de foi !
J’ai vu que vous avez eu déjà plusieurs personnes qui ont apporté un message sur ce thème. Ils vous ont certainement parlé du contexte qui est très important. Des disciples incompétents n’arrivent pas à libérer l’enfant de la maladie, du démon. Alors il me semble évident que le père manque de confiance et dit à Jésus : « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion (pitié) de nous, aide-nous ! » La réponse de Jésus n’est pas une surprise, pourquoi dis-tu : « si tu peux ? » As-tu suffisamment de confiance en moi, voilà que le père hurle (crie) : « Je crois, viens à mon manque de confiance ! » La confiance, la foi n’est pas quelque chose de statique que l’on atteint une fois pour toujours. Nous ne sommes jamais possesseur de la foi. Je ne possède jamais la foi, la confiance, c’est une relation existentielle, dynamique. Une relation qui se renouvelle toujours dans le devenir. La confiance, la foi est une relation que se noue, se manifeste dans la relation avec autrui. Nous pouvons faire confiance à Christ parce que lui nous fait confiance. Il nous appelle ses ami-es. La relation d’ami-es est bien sûr une relation de confiance réciproque. Nous pouvons avoir foi en Dieu parce que Dieu a foi en nous. Il nous le démontre, il nous le prouve si l’on peut dire, en envoyant son Fils bien-aimé, son Fils de gloire, de beauté. Se savoir aimé rend beau, c’est en même temps un signe d’une grande confiance. Le poète et écrivain Jules Renard s’exprime ainsi : « Ce n’est pas parce qu’une personne (femme) est belle qu’on l’aime, mais, c’est parce qu’elle se sent aimée qu’elle devient belle ! »
Oui, un sujet qui vivifie et fortifie notre foi et notre confiance en Dieu, c’est la beauté de Dieu.
Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans le désespoir. Dès les premières pages de la Bible, nous découvrons que le Dieu créateur aime la beauté.
Il est l’artiste par excellence de la beauté. » Dieu vit que tout ce qu’il avait fait était très beau, très bon. » Le Dieu créateur est aussi un super paysagiste qui se donne la peine de planter un «beau» jardin, celui d’Eden. «Et l’Eternel Dieu fit germer du sol toutes sortes d’arbres agréables, beaux à la vue.» La beauté apporte la joie dans le cœur humain, sert à une relation saine.
Le Dieu qui a conduit Israël hors d’Egypte, les libère de l’esclavage, leur fait don des dix paroles (commandements Ex. 20). Dans ces dix paroles, Dieu révèle sa volonté au peuple libéré. Par la révélation de sa volonté, Dieu invite ce peuple à participer, à vivre la volonté de Dieu pour le bien de toutes les nations et bien sûr pour leur propre bien.
Pour assurer à ce peuple en marche dans le désert, situation souvent difficile et précaire, Dieu donne l’instruction de bâtir un tabernacle, un coffre en bois (une arche), dans lequel il habitera, sera présent et les accompagnera. Lors de la construction de ce coffre en bois (tabernacle), Dieu agit non seulement comme architecte en bâtiment en indiquant des dimensions très précises et le matériel à utiliser – mais également comme un architecte d’intérieur pour la décoration. Les spécifications des vêtements du grand-prêtre et des prêtres sont prescrites dans le style de la haute couture. Tout est minutieusement indiqué. Le meilleur matériel doit être utilisé. Dieu est beau, sa présence au milieu de son peuple doit afficher la beauté et la générosité. Les vêtements du grand-prêtre et des prêtres doivent être faits, cousus par les meilleurs artisans du peuple et bien sûr avec la meilleure étoffe, lin, laine. Les prêtres sont en quelque sorte les représentants de Dieu au milieu du peuple et en même temps, ils représentent le peuple à l’extérieur, donc le plus précieux et le beau sont indispensables. (À relire dans les chapitres d’Exode 25-31, 35 – 40).
Il en est de même lors de la construction du premier temple par Salomon, les instructions sont précisées jusque dans les moindres détails, de nouveau le meilleur du meilleur matériel est juste suffisant. Le précieux bois par exemple est importé du Liban. Et comme les Israéliens ne sont pas très doués pour couper le bois, Salomon doit trouver les meilleurs bûcherons à Sidon, hors d’Israël. (À relire dans les chapitres 1 Rois 5,14 – 8, 66 et en 2 Chronique, ch. 2-7).
Cet édifice est majestueux, il représente la grandeur, la générosité et surtout la beauté du Dieu unique, créateur de tout l’univers, libérateur des peuples opprimés sous l’esclavage. Aussi à l’intérieur, tout le matériel nécessaire est de très bonne qualité puisque Dieu va y habiter. En d’autres termes, c’est la sagesse, la paix, la justice, la vérité, l’amour, la compassion qui remplissent cet édifice. Le coffre de bois qui accompagnait et servait de présence de Dieu dans le désert, trouvera sa place dans le temple.
Dans le midrash, il est écrit : « Le temple est l’embellissement du monde en ce qu’il représente l’essence même du beau sur terre, il rend possible la relation spirituelle entre Dieu et l’homme et une saine (belle) et bonne relation entre les humains. – Dès que les nations entendent parler de la beauté du temple, de la majesté de ce Dieu, elles disent à Israël : « Nous voulons marcher avec vous. » Dans le midrash, il y a aussi de très amusants et intéressants commentaires sur les belles femmes et aussi de quelques beaux hommes et enfants.
Dans les années septante du siècle passé, le théologien suisse Rudolf Bohren déplore que la théologie protestante n’aborde pas suffisamment le thème de la beauté, la majesté (la gloire) de Dieu et que le thème beauté est pour ainsi dire complètement absent. Lorsqu’ en 1972, il est appelé comme professeur de théologie pratique à Berlin, puis à Heidelberg, il débute directement à donner des cours sur l’esthétique dans la bible. Dans ses séminaires, il évoque Saint Augustin (né en 354) ainsi que le philosophe, Anicius Manlius Severinus Boëthius (né vers 48o), Angélus Silesius (né en 1624), mais aussi des textes du théologien Friedrich (Daniel Ernst) Schleiermacher (né en 1768 à Breslau, Silésie) et Urs de Baltasar. Friedrich Schleiermacher avait écrit au 18e siècle un livre avec le titre : L’esthétique théologique reflète Dieu lui-même. Bohren donne des cours sur le beau-primat = beau original, le bon-primat = le bon original. En allemand: Er hielt Vorlesungen über das Ur-Gutem und das Ur-Schönen.
En Dieu, le bien, le bon, le beau (la gloire), la bonté, la bienveillance sont similaires.
Les psaumes ont souvent des expressions que nous n’avons pas suffisamment pris en considération, telles que : « Dieu, tu es majestueux, tu es couvert de beauté et d’honneur. La lumière est la robe que tu portes (Ps 104,2). Dans le Psaume 144, v.12, le psalmiste prie pour que les fils puissent grandir comme les plus beaux arbres, que les filles deviennent des ornements qui décorent la maison royale. Le scientifique et écrivain néerlandais, Henry Le Bal a raison de dire qu’il n’y a pas de péché originel, mais une beauté originelle ou comme Lytta Basset écrit, il y a un amour originel.
D’ailleurs les anabaptistes ou du moins une grande partie d’entre eux refusaient la doctrine du péché originel.
Je suis persuadé que chacune et chacun a déjà vécu combien la beauté peut rendre joyeux, heureux, comme un remède contre la dépression. Je suis sûr que nous avons toutes et tous fait l’expérience d’un bel événement ou en regardant et admirant un beau tableau, une peinture, la beauté de la nature. Ces regards et prises de conscience créent de la joie, du bien-être. Oui, la beauté nous élève, peut nous fortifier dans notre pèlerinage, notre confiance en nous-mêmes et en nos prochains.
Pour la méditation, le silence, la beauté sont une grande aide. La beauté change notre attitude, notre comportement. Elle peut nous aider dans nos relations humaines. La beauté peut nous aider à nous émerveiller. La beauté veut nous aider à vivre notre vie avec plaisir et de jouir de la vie. En s’ouvrant et en contemplant la beauté de Dieu, on ne fait pas disparaître les autres attributs de Dieu, au contraire elle les fait briller d’une manière plus forte, plus authentique.
Je veux juste mentionner deux raisons pourquoi l’on a longtemps négligé la beauté de Dieu dans la théologie. Une raison est la non-valorisation du corps humain. Pendant longtemps, dans la tradition et la compréhension protestante, le corps était peu ou pas valorisé, voire méprisé. Malheureusement la pensée du philosophe grec Platon a eu une énorme influence : « Le corps est la prison, le tombeau de l’âme. » L’âme doit être détachée du corps. Le corps est mortel, l’âme immortelle. Une deuxième raison, le beau rend orgueilleux, éloigne du divin (Dieu) et on le justifiait – entres autres – avec le texte du livre d’Esaïe chapitre 53 qui fut directement transféré sur Jésus. « Il n’avait ni beauté, ni le prestige qui attirent les regards. Son apparence n’avait rien pour plaire ». Ces textes du serviteur souffrant qui sont régulièrement lus lors des cultes de vendredi-saint ont leur sens et ne doivent pas être éliminés. Je suis persuadé que l’enseignement de la passion du Christ doit être revu.
L’auteur de l’évangile de Jean parle dès le début jusqu’à la fin d’une manière impressionnante de la Doxa, donc de la beauté, la gloire de Jésus. Déjà au premier chapitre, nous lisons : « La Parole est devenue homme (humaine) et nous avons vu, contemplé sa beauté, sa gloire. » Cette beauté, les bergers l’ont admirée dans l’enfant né à Bethléhem. Les savants de l’Orient ont reconnu la mission de cet enfant né à Bethléhem, lieu de la plénitude, maison du pain en abondance, lieu de paix. Ils ont aussi reconnu que dans cet enfant juif, Dieu veut que toute l’humanité participe à la plénitude de Bethléhem. Cet enfant qui porte en lui cette plénitude, devient l’homme de Nazareth, qui sillonne, prêche, guérit, rassasie en Galilée, en Judée et même au-delà de ces frontières. Nazareth, le contraire de Bethléhem, un non-lieu, inexistant. Aujourd’hui on dirait une banlieue délaissée d’une grande ville. Et pourtant, c’est de ces deux lieux que Dieu manifeste et partage avec les humains sa présence, sa beauté.
Nous avons vu sa doxa, sa beauté, sa majesté. L’avons-nous reçue ? Cette beauté, Jésus l’a reçue du Père. Cette beauté qui reflétait celui qui veut être Père de tous les humains, de toutes celles et ceux qui reconnaissent que la Parole venue dans le monde est lumière et veut éclairer tous les êtres humains. Malheureusement, une majorité de ses contemporains n’ont pas reconnu cette Parole qui voulait les laisser participer à la plénitude de la beauté et la richesse de Dieu. Ils n’ont pas reconnu la mission de l’envoyé de Dieu. Selon l’évangile de Jean, Jésus manifeste sa beauté, son attention, ce qui essentiel lors d’un mariage (noces de Cana). D’après Jean, le premier signe très surprenant et profane, pour montrer la bienveillance, la beauté qui l’habite, c’est de changer l’eau en vin. Après le dernier repas de Jésus avec ses disciples, Juda les quitte. Aussitôt Jésus dit : « Maintenant Dieu va montrer sa beauté, sa majesté, sa présence par le Fils de l’homme. » L’expression Doxa = gloire, beauté, majesté, revient cinq fois dans les versets 31 et 32 de Jean 13. La doxa, la majesté (gloire) de Dieu montre sa présence dans la vulnérabilité, dans le rejet. Le crucifié ouvre et partage l’avenir avec d’autres, les exclus. Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. Mais aussi : Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. La beauté de Dieu ne rejette personne, mais pardonne. Et enfin, à l’aube du matin de Pâques, les femmes expérimentent que l’amour, la vie sont plus forts que le rejet et la mort.
Je termine avec une pensée du compositeur, auteur et dramaturge David Facérias :
L’émerveillement naît de Dieu et conduit à Dieu. S’émerveiller, c’est reconnaître et exprimer la présence de Dieu en moi et en toute chose. S’émerveiller, c’est remercier Dieu pour cette vie donnée. S’émerveiller, c’est aussi goûter et vivre la joie qui vient de Dieu. S’émerveiller, c’est vivre sa foi en faisant confiance à Dieu !