Prédication par Thomas Gyger
Divers textes bibliques cités
Préparé sur la base d’articles de Gregory Boyd
Image de l’article: Lamentation sur le Christ mort, Orazio Borgianni, vers 1615
Cher amis, chers frères et sœurs en Christ,
Pourquoi ? Pourquoi la croix, pourquoi Jésus est-il mort ? Quel est la raison de la mort de Jésus ?
Pourquoi ?
Si je vous demandais pourquoi Jésus a dû mourir sur la croix, vous seriez certainement beaucoup à répondre : « Pour payer mes péchés ».
La plupart des chrétiens comprennent le sacrifice de Jésus pour nos péchés comme une sorte de transaction légale qui a eu lieu entre le Père et le Fils et qui a permis à l’humanité de « s’en sortir ».
En gros, dans nos esprits, ça se passe souvent un peu de la manière suivante :
La sainteté de Dieu exige que tout péché soit puni, et cela demande en conséquence que les pécheurs soient perdus pour toujours (dans le temps on disait « aller en enfer », aujourd’hui on le dit moins).
Le problème est que Dieu aime aussi les pécheurs et ne veut pas qu’ils aillent en enfer. Donc, pour résoudre ce dilemme, le Père a envoyé le Fils pour subir le châtiment ou la punition de nos péchés à notre place.
Sur la croix, la colère de Dieu contre le péché a été déversée sur Jésus. Donc maintenant, quand les gens croient en Jésus, leurs péchés sont pardonnés et Dieu les déclare justes.
Ainsi, les croyants ont accès à la vie éternelle au lieu de se perdre et d’aller en enfer. On parle parfois ici de substitution pénale.
Alors, je sais que certains versets bibliques peuvent être lus dans ce sens ; je pense ici en particulier à Ésaïe 53, ou Romains 3.21-26. Et je ne doute pas bien sûr que Jésus est mort à notre place et qu’il a subi toutes les conséquences de mes péchés.
Mais j’ai un peu plus de peine avec cette idée que Dieu déverse sa colère sur Jésus ou comment cela nous permettrait de nous en sortir. Ça soulève quand même des questions. Par exemple :
Si Dieu exige que quelqu’un « paie le prix » du péché avant de pardonner aux pécheurs, est-ce qu’on peut dire que Dieu pardonne vraiment les péchés de ces gens ?
Tiens, si tu me dois cinq cents francs et que je t’oblige à me rembourser à moins que quelqu’un d’autre ne me rembourse à ta place, est-ce qu’on peut vraiment dire que je t’ai remis ta dette, ou que j’ai pardonné ta dette ?
Oui bien sûr, si c’est ton voisin qui paie à ta place, tu es délivré de ta dette ; mais « pardonner », c’est autre chose. Pardonner, c’est effacer l’ardoise, ce n’est pas récupérer la mise ailleurs, vous comprenez ?
Ce qui est étrange dans cette approche de la transaction juridique, c’est qu’elle semble faire de l’expiation quelque chose qui change Dieu, plutôt que de me changer moi.
Dieu aurait déclenché sa sainte colère contre le péché en punissant Jésus sur la croix. Et cela, d’une certaine manière – mais de quelle manière au juste ? – permettrait à Dieu de me pardonner, de m’accepter. Je trouve cela troublant.
Alors, je vais peut-être vous surprendre en disant que durant le premier millénaire en tous cas de l’Histoire de l’Église, les chrétiens ont répondu autrement à notre question du début : quelle est la raison de la mort de Jésus à la Croix ?
Cette idée d’expiation des péchés par transaction légale s’est répandue seulement à partir de la Réforme, vers le 16e siècle.
Avant cela, on croyait que la raison principale de la mort de Jésus sur la croix, c’était pour vaincre Satan et nous libérer ainsi de son règne oppressif. C’est d’ailleurs intéressant que la mort et la résurrection de Jésus soit associé à la Pâque, la fête où les Juifs célèbrent la libération du peuple de Dieu de l’oppression égyptienne.
La sortie d’Egypte, la libération du peuple Juif est l’évènement centrale de l’Histoire de ce peuple. L’œuvre de libération de Jésus ne l’est pas moins pour l’humanité.
Au premier millénaire, on croyait aussi bien sûr que Jésus était mort à notre place et nous avait réconciliés avec Dieu.
Toutefois, on comprenait cela non pas comme une transaction juridique, mais comme une partie de la guerre de Dieu contre le diable. L’action principale de Jésus avait consisté à détruire le diable et libérer les humains de son oppression.
Tout le reste que Jésus a accompli, y compris payer pour nos péchés, était simplement un aspect ou une conséquence de cette victoire, mais ce qui était primordiale, c’était cette victoire.
Ce point de vue sur la mort de Jésus est appelé la vision du Christus Victor, du Christ victorieux.
Ce point de vue plus ancien sur l’action de Jésus-Christ est à mon avis plus biblique et moins problématique que le point de vue de la substitution pénale. En fait, selon ce point de vue, il faudrait davantage considérer Jésus comme quelqu’un qui est venu dans le monde pour faire une révolution dont bien sûr, il est sorti vainqueur.
Et je crois qu’une telle approche peut influencer positivement la vocation et la manière de vivre de chaque disciple de Jésus, de chaque révolutionnaire du Royaume.
Je voudrais vous inviter ce matin à considérer cette façon de voir particulière, car je crois qu’elle rend plus fidèlement toute la beauté du récit du Nouveau Testament que lorsque je m’intéresse seulement à ce que Jésus à fait pour moi, ou pour le dire de manière un peu abrupte si je me dis : la mort de Jésus, ça me rapporte quoi, à moi ?
Ce motif du Christus Victor est fortement mis en valeur tout au long du Nouveau Testament.
On peut y lire que Jésus est venu dans le monde:
- pour « chasser le prince de ce monde » (Jn 12.31)
- pour « détruire les œuvres du diable » (I Jn 3.8)
- pour « détruire celui qui détenait la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable » (Héb. 2.14-15)
- et finalement pour « mettre tous ses ennemis sous ses pieds » (I Cor 15.25).
Jésus est venu pour vaincre « l’homme fort » (Satan) qui tient le monde en esclavage ; Jésus est venu pour travailler avec ses enfants afin de « piller sa propriété » (Lc 11.21-22, la maison du diable).
Il est venu mettre fin au règne du « voleur » cosmique qui s’est emparé du monde pour « voler, abattre et détruire » la vie que Dieu nous a destinée (Jn 10.10).
Jésus est venu sur terre et il est mort sur la croix pour désarmer « les principats et les autorités » et « les livrer publiquement en spectacle » en les « entraînant dans son triomphe » (Col 2, 15).
Au-delà de ces déclarations explicites, il existe de nombreux autres passages qui expriment également le motif du Christus Victor.
Par exemple, la première prophétie de la Bible prédit qu’un descendant d’Ève (Jésus) « écraserait la tête du serpent » (Gn 3.15).
La première prédication chrétienne de l’Histoire – dans le livre des Actes – proclame que Jésus a, en principe, vaincu tous les ennemis de Dieu (Ac 2.32-36).
Et le passage de l’Ancien Testament le plus souvent cité par les auteurs du Nouveau Testament est le Psaume 110 qui prédit que le Christ allait conquérir tous les adversaires de Dieu (v. 1).
(Le Psaume 110 est cité ou suggéré dans Mt 22.41-45 ; 26.64 ; Mc 12.35-37 ; 14.62 ; Lc 20.41-44 ; 22.69 ; Ac 5.31 ; 7.55-56 ; Rm 8.34 ; I Co 15.22-25 ; Ep 1.20 ; Hé 1.3 ; 1.13 ; 5.6, 10 ; 6.20 ; 7.11, 15, 17, 21 ; 8.1 ; 10.12-13 ; I P 3.22 ; et Ap 3.21)
La fréquence à laquelle les auteurs du Nouveau Testament citent ce psaume permet d’affirmer que la victoire du Christ sur les puissances mauvaises se trouve bien au centre même de la pensée chrétienne primitive.
En bref, la mission principale de Jésus était de mettre fin à la guerre globale qui faisait rage depuis des temps immémoriaux dans le monde et de libérer ainsi les captifs de Satan (Lc 4.18 ; Ep 4.8). C’est le point de vue du Christus Victor sur l’expiation.
Le fait est que l’incarnation du Fils de Dieu, c’est avant tout une manœuvre militaire. Jésus est venu pour mettre fin à un régime d’oppression, au régime de Satan et pour reconquérir la terre, les humains et la création tout entière comme le domaine dans lequel Dieu est Roi. Il est venu pour établir le Royaume de Dieu en triomphant du royaume des ténèbres.
Donc, bien sûr, on pourrait ensuite se demander quelles sont les conséquences de cette victoire pour la vie et la manière de vivre des chrétiens ? Comment au juste les chrétiennes et les chrétiens manifestent-ils le fait qu’ils font partie de ce Royaume aujourd’hui ? Quelles sont les conséquences de cette victoire dans leurs vies ? Répondre à ces questions, c’est fondamental, mais cela dépasserait le cadre de la prédication de ce matin ; j’y reviendrai une prochaine fois.
Tout ce que Jésus a accompli – y compris révéler le caractère de Dieu, mourir à notre place et nous donner un exemple à suivre – peut être compris comme autant d’aspects de sa campagne militaire pour vaincre les puissances du mal.
Il nous a libéré de l’esclavage du péché et de la culpabilité (Rm 6.7) ainsi que de la loi comme moyen d’essayer d’acquérir la justice devant Dieu par nous-mêmes (Gal 2.16).
Mais la réalité la plus fondamentale dont nous sommes libérés est le diable. Nous avons été esclaves du péché et de la condamnation principalement parce que nous étions esclaves de Satan.
En nous « rachetant » de cet esclavage, en nous sauvant de ce royaume (Col 1.13 ; Gal 1.4), le Christ nous a en principe aussi rachetés de toute autre forme d’esclavage.
Il était prêt à faire tout ce qu’il fallait – à payer le « prix » nécessaire nous libérer du malin. Il a fallu que le Fils de Dieu devienne un homme et meure d’une mort terrible sur la croix.
D’une manière mystérieuse, cet événement a « désarmé », « chassé », « ligoté », « condamné » et « détruit » le « dieu de ce temps » qui nous avait tenus en esclavage (Col 2.15 ; Jn 12.31 ; 16.11 ; 2 Co 4.4 ; Hé 2.14).
Il a ainsi intronisé le Fils de Dieu comme roi légitime de l’univers de son Père, c’est la fameuse allusion prophétique déjà présente dans le Psaume 110.
La mort de Jésus a donc signifié la liberté, la libération, la rédemption et le salut complet pour toute personne précédemment asservie, qui était disposée à les recevoir.
Ainsi, la croix et la résurrection n’étaient pas d’abord et avant tout pour nous. Il s’agissait de vaincre le mal. Du point de vue du NT, le mal est quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus puissant, de beaucoup plus global et de beaucoup plus envahissant que ce qui se manifeste dans notre petite vie modeste, dans mon petit contexte personnel, influencé par ma petite volonté.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne sommes pas mauvais nous-mêmes, et que nous n’ayons pas besoin de Christ pour notre salut. Mais le Christ n’a fait cela que parce qu’il a fait quelque chose d’encore plus fondamental : il a porté un coup mortel à Satan et a repris le pouvoir légitime qu’il exerçait sur toute la création.
Le mal ne peut être vaincu dans notre vie que parce que le « malin » qui régnait auparavant sur un plan beaucoup plus global a lui-même été vaincu.
Nous ne sommes libérés que parce que le cosmos tout entier a été libéré de celui qui l’avait asservi auparavant. Et nous ne sommes réconciliés avec Dieu que parce que le cosmos tout entier, et l’ensemble du monde spirituel, a été réconcilié avec Dieu.
On objectera à juste titre : oui, mais alors pourquoi les guerres, les famines, les injustices, les maladies n’ont-elles pas cessées ? Un théologien avait utilisé un jour l’image du débarquement de Normandie durant la Deuxième Guerre Mondiale : le jours du débarquement par les alliés, le sors d’Hitler était scellé. Il avait perdu la guerre. Mais il a fallu encore près d’une année pour terminer la guerre.
Avec la victoire du Christ, Satan a été définitivement vaincu, mais les forces du mal sont encore capable de se déchaîner jusqu’au retour du Seigneur. Après ce sera terminé. Dieu a donc choisi de nous rejoindre physiquement dans notre réalité par l’envoi de son Fils Jésus-Christ ; c’était son désir de nous rejoindre et de se réunir avec nous.
Mais à cause de la présence des puissances du mal, à cause de notre rébellion et de notre péché, cette venue de Dieu dans le monde était aussi assortie d’une mission de sauvetage.
Pour ça, le Seigneur avait prévu une stratégie pour vaincre les puissances des ténèbres, une stratégie qui déboucherait sur sa victoire, celle du Christus Victor.
Chers amis, c’est de cela que nous nous souvenons ces jours, avec la Croix qui est un premier acte, suivi d’un autre le matin de Pâques. Que le Seigneur vous bénisse et que vous puissiez tout à nouveau prendre conscience de toute la dimension de son œuvre de salut.
Amen.
Merci beaucoup, Tom, pour ces explications qui éclaircissent un grand sujet rarement élucidé, mais beaucoup répété sous un angle d’idées reçues. C’est nécessaire et courageux et je t’en félicite, en espérant que tes réflexions aideront à poursuive un sujet complexe que nous avons travaillé à plusieurs reprises dans le passé. Je trouve ton approche utile et elle ouvre des perspectives qui nous permettent d’approfondir la foi tout en acceptant que les significations de symboles bibliques peuvent être multiples. Je trouve surtout important la notion de la libération, grand sujet au travers de la bible.
J’ai toutefois un problème avec un terme que tu utilises, symboliquement certes, mais à un moment crucial. Tu dis : „Le fait est que l’incarnation du Fils de Dieu, c’est avant tout une manœuvre militaire.“ Si nous sommes d’accord que l’incarnation est un acte de grâce, il se pose alors la question à savoir comment la grâce puisse être compatible avec une manœuvre militaire. Il me semble que c’est justement la logique militaire, logique tout à fait humaine dans le sens le plus mauvais qui soit, qui est contredite et démontée par la passion et la croix. Oui, il y a démarche, il y a combat, il y a angoisse, il y a violence (uniquement de la part des hommes), et oui, il y a victoire. Mais la puissance de Dieu, puissance de l’esprit et non de la force selon le prophète, l’emporte justement sans faire recours à la logique militaire.
C’est non seulement théologiquement que le terme ne convient pas, c’est aussi pour des raisons pédagogiques : le militarisme fait partie tu royaume du Diable, pour rester dans le language de la prédication, et le Christ est vainqueur aussi sur le militarisme et sur la logique belliqueuse des humains.
Encore merci et dans la joie du débat fraternel.
Hansuli
Bonsoir et
Merci Hansueli
de ton commentaire riche et réfléchi.
Je suis complètement novice et ignorante dans vos discussions, mais le discours me parle. Je viens de me plonger un peu de l’histoire des mennonites ici dans le Jura (à l’origine je viens de Bâle).
Donc, je vais essayer de rester connectée à vos échanges.
Cordialement
Sibylle Tahira Ott
Le Creux-des-Biches 2
Le Noirmont
Bonjour Sibylle et merci beaucoup pour ton commentaire – je suis quelque peu embarrassé de ne pas avoir répondu plus vite… Nous sommes effectivement en constante mutation, socialement et théologiquement. Le 28 août prochain, il y aura à la chapelle de la Chaux-d’Abel un concert, organisé par les Jardins musicaux et Parc Chasseral. Avant la concert, il y aura une présentation sur l’histoire des anabaptistes dans la région, si jamais cela t’intéresse.