Pentecôte, 31 mai 2020

Dieu, le Saint-Esprit et le corona

Par Chantal Ampukunnel, théologienne, assistante pastorale dans l’Unité pastorale catholique des Franches-Montagnes. Cette réflexion, que Chantal nous a aimablement mise à disposition pour publication ici, est parue dans le Franc-Montagnard le 27 mai 2020.

Deux discussions le même après-midi avec deux paroissiennes à qui j’avais téléphoné, m’ont donné à réfléchir pour ce week-end de Pentecôte où nous fêtons le Saint-Esprit.

La première me disait qu’elle se demandait si le coronavirus (eh oui, toujours lui!) n’était pas une punition envoyée par Dieu.

La deuxième me disait qu’en ce temps de Pentecôte, le coronavirus (encore lui) curieusement lui faisait penser à l’Esprit Saint: tous les deux étaient présents, sans qu’on puisse les voir, sans que l’on sache où et quand ils allaient être actifs ou non. Elle ma précisé, osant cette comparaison un peu décalée, que l’un travaillait pour le bien et l’autre pour le mal.

Leurs réflexions, essayant de donner sens et explication à ce que nous vivons, m’ont fait penser à l’histoire de cet évêque italien qui, ayant marre du confinement, a décidé de faire une sortie incognito à Venise débarrassée de ses touristes et a loué tout seul une gondole. A un moment, il bouge trop, tombe et se retrouve dans l’eau. Le gondolier – incroyable qu’il passe par là! – lui propose de l’aider. L’évêque lui répond, craignant aussi certainement d’être pris et reconnu: “Non merci, le Saint-Esprit va venir me secourir dans un instant” L’évêque s’enfonce dans l’eau. Le gondolier revient et lui propose de l’aider. “Non merci, dit-il à nouveau, le Saint-Esprit va venir me secourir à l’instant”. Tout finit comme on peut l’imaginer : l’évêque coule et se noie. Il arrive au ciel et y est accueilli par le Saint-Esprit. L’évêque en est tout étonné et interpelle le Saint-Esprit en lui disant: “Quand j’avais besoin de toi tu n’étais pas là!” Et le Saint-Esprit lui répond: “Tu crois que c’était qui le gondolier?” Voilà peut-être une histoire qui répondra aux questionnements et réflexions de ces deux dames, qui sont peut-être aussi les vôtres d’ailleurs, sur le rôle de l’Esprit Saint, présence, force et amour de Dieu. Alors non, Dieu ne nous punit pas. Bien au contraire. Il est là, intervient et nous aide quand tout va au plus mal. Il s’agit juste de savoir le reconnaître dans les gondoliers qui sont présents dans notre vie. En fait, savez-vous quels sont les gondoliers de votre vie?

Dimanche 24 mai – L’endurance

Pour ce dimanche, voici une prédication de Pierre Bühler, qu’il a donné à la communauté de Grandchamp le 26 mars 2020. Issu d’une famille mennonite de Tramelan et maintenant à la retraite active, Pierre était professeur de théologie systématique à Zürich. Il a aimablement consenti à ce que son manuscrit soit publié sur notre site.

Lecture 1 : Lettre aux Hébreux 10,32-39

Lecture 2 : Evangile de Matthieu 24,1-14

Chères sœurs, chers frères en Jésus-Christ,

Quand j’ai reçu de sœur Pascale ces deux textes difficiles prévus pour la célébration d’aujourd’hui, la crise du coronavirus était déjà la grande préoccupation, mais elle était encore lointaine, même si on la sentait se rapprocher inexorablement. Et aujourd’hui, elle est là. Les cas de contamination sont très nombreux, de même que les morts. Un de mes cousins est mort du coronavirus la semaine passée. Si le virus infecte l’organisme de certains, il infecte aussi l’esprit de tous. Il nous obnubile et nous inquiète, au point où on ne pense plus qu’à lui. Il y a quelques jours, j’ai rencontré un voisin complètement atterré qui me disait, le visage ravagé : « C’est la fin du monde ! ».

Je me suis donc dit tout d’abord qu’il fallait prêcher sur le passage de Matthieu 24, qui appartient à ce qu’on appelle la petite apocalypse des évangiles synoptiques : un discours de Jésus sur la fin des temps, en réponse aux questions des disciples. D’ailleurs, plusieurs parallèles entre le texte et notre situation s’imposaient d’emblée : des faux prophètes qui égarent par de faux espoirs ou qui suscitent la panique, si bien que les gens font leurs provisions en pillant les magasins et en insultant les vendeuses ; des gouvernants qui dressent nation contre nation, comme Donald Trump qui, à coup de milliards, voulait réserver un vaccin allemand en préparation aux seuls malades des États-Unis ; des gens qui ne vous parlent que de guerre, comme le président Macron qui, s’adressant à son peuple, répète sans cesse « Nous sommes en guerre ». Et le texte dit encore : « et alors un grand nombre succomberont », évoquant ainsi les morts dont nous lisons chaque jour les statistiques, tétanisés, sidérés par l’évolution.

Mais c’est soudain un petit passage de la fin de ce texte qui a attiré mon attention : « l’amour du grand nombre se refroidira ; mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » Une question d’amour, donc ? Un amour qui ne doit pas refroidir, qui doit tenir jusqu’au bout ? Et cela m’a fait me tourner vers le texte de l’épître aux Hébreux. À quoi bon une vision de la fin des temps si elle nous empêche de vivre au quotidien ? Dans le texte de l’épître, on ne parle que discrètement de celui qui doit venir à la fin des temps, mais on y parle concrètement d’un combat, d’une épreuve au quotidien, en appelant instamment à ne pas perdre l’assurance, à garder la confiance.

Et c’est surtout le début du verset 16 qui s’est tout à coup imprimé dans mon esprit :
« C’est d’endurance que vous avez besoin ». Et je me suis dit : oui, c’est ça, le message pour un temps de crise : « C’est d’endurance que vous avez besoin. ». Mais que veut dire « endurance » ? Ce substantif vient du verbe « endurer », qui provient du latin médiéval indurare, qui signifie « durcir, se durcir ». Il s’agit donc de renforcer sa résistance, pour ne pas se laisser toucher par les moindres difficultés, se faire une carapace, comme la tortue. Mais il y a un danger à trop se durcir : on peut se cuirasser, se blinder, au point de ne plus rien sentir. Or, il n’est pas sûr qu’un tel blindage permette de tenir sur la durée. Car si l’on veut endurer une crise, il faut aussi pouvoir durer, « tenir jusqu’à la fin », dit Matthieu. Or, à avoir trop de blindage, on peut aussi s’épuiser, comme ces chevaliers du Moyen-Âge qui croulaient parfois sous le poids de leurs armures.

Il est intéressant que « durée » a la même racine durare, indurare, que l’endurance. On pourrait donc dire que l’endurance sera un sage équilibre entre la dureté et la durée. Et le terme grec pour « endurance » dans notre texte vient de la racine menein, qui veut dire « rester ». Si l’on veut donc durer, rester, tenir, il faut que la dureté laisse aussi de la place à la flexibilité, à une souplesse intérieure, et donc aussi à la fragilité.

En ces temps que nous sommes en train de vivre, nous sommes incertains, inquiets. Il serait vain de le nier. Pour le bien de notre endurance, il faut bien plutôt accepter pleinement cette incertitude. Elle fait partie de nous, nous rend fragiles. En l’acceptant, nous pouvons aussi l’intégrer, au lieu de la laisser se développer en une panique incontrôlée. L’endurance, c’est développer une distance, une liberté intérieure à l’égard de l’incertitude : nous la sentons, nous la laissons être là, mais elle ne nous domine pas. « Ne perdez pas votre assurance », dit l’épître aux Hébreux. Et comme le dit Ésaïe (30,15) : « Votre force est dans le calme et la confiance ».

Dans la panique, nous sommes rejetés sur nous-mêmes. Chacun ne pense plus qu’à lui- même, à se protéger, à se munir de ce qu’il faut. Et on risque de ne voir dans l’autre que le danger de la contamination. De vieux réflexes médiévaux peuvent renaître : il faut fuir les autres « comme la peste ». Mais cela génère la solitude. Et ce serait une illusion de croire que notre endurance profite de cette solitude, de l’enfermement en soi. L’épître aux Hébreux souligne plutôt que nous ne sommes pas seuls. L’endurance est soutenue par une promesse appelée à se réaliser toujours plus : il y a celui qui vient à nous, qui sera là, celui qui s’est déclaré avec nous, parmi nous. La promesse que Jésus, ce grand solidaire, vient à nous, permet à notre endurance de lutter contre la solitude du chacun pour soi.

S’il vient à nous, lui, nous pouvons aussi aller vers les autres. La règle de la distance sociale, qui nous met à deux mètres les uns des autres, la règle du confinement dans nos appartement, nos maisons, tout cela pourrait nous rendre apathiques, renforçant la solitude.

Mais la solidité de notre endurance ne se nourrit pas de solitude, mais de solidarité. Et c’est peut-être un des grands enseignements de ce temps, à ne pas oublier trop vite: la crise que nous vivons suscite de nouvelles solidarités, de nouvelles sollicitudes pour celles et ceux qui sont plus exposés, plus fragiles que nous. Notre texte exprime cette solidarité en disant : « vous avez pris part à la souffrance des prisonniers », et il est vrai que nous devons être en souci aujourd’hui pour les prisonniers : comment lutter contre la contagion du coronavirus quand les prisons contiennent deux ou trois fois plus de prisonniers qu’il n’y a de places ? Il en va de même pour les requérants d’asile, les grands oubliés de la solidarité : les instances de l’asile sont interpellées pour appliquer les règles de confinement dans les centres, mais elles semblent être plus soucieuses de se munir de vitres en plexiglas pour continuer leurs auditions et leurs décisions de renvoi ! Et je n’ose même pas imaginer quels ravages le coronavirus pourra faire, est peut-être déjà en train de faire dans les camps surpeuplés des îles grecques, où des dizaines de milliers de personnes vivent entassés, malades, mal nourries, sans moyens d’hygiène. La solidarité doit être pour tous sans distinction, sans exclusion. Non, nous ne laisserons pas l’amour du grand nombre se refroidir !

Au vu de toute cette situation, nous pourrions succomber à la résignation, à un sentiment tragique d’impuissance. Mais cela nuirait fort à notre endurance. Nous avons besoin d’un ressort spirituel, qui nous redonne sans cesse le courage de vivre avec sérénité et confiance, la persévérance de faire ce que nous pouvons, chacune et chacun avec ses forces et ses faiblesses. Un conte originaire des Andes raconte qu’un grand feu ravage la forêt. Tous les animaux fuient et assistent à la catastrophe de loin, tétanisés. Sauf un colibri qui vole à la rivière, prend une goutte dans son bec et va la jeter dans les flammes, revient à la rivière, reprend une goutte, va la jeter dans les flammes, et ainsi de suite. Les autres animaux lui demandent : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Sans s’arrêter, le colibri leur répond : « Je fais ce que je peux ! ».

Ce ressort spirituel, qui nous permet de ne pas capituler, de continuer malgré tout, de trouver notre force dans ce « malgré tout », c’est l’humour. C’est lui qui nous donne cette liberté intérieure qui alimente l’endurance, c’est lui qui lui donne ce bon alliage de résistance et de souplesse que les psychologues, après les physiciens de la matière, appellent la résilience.

« À peine aviez-vous reçu la lumière que vous avez enduré un lourd et douloureux combat », dit l’épître aux Hébreux. Mais elle ne dit pas que cette lumière a disparu. Elle continue d’éclairer le combat, telle est la conviction qui soutient l’endurance. Cela, nous pouvons le vivre, sous un angle spirituel, dans la prière : en pouvant mettre des mots sur nos expériences, en pouvant les exprimer par des paroles qui nous ont été transmises et qui sont porteuses de lumière, nous pouvons laisser un peu de lumière se répandre dans le monde, pour illuminer les ténèbres des souffrants. J’en suis frappé, c’est ce que demandait, dans l’Arc Info il y a quelques semaines, le chirurgien des cœurs d’enfants René Prêtre, en s’adressant aux aînés : « Nous savons que vous aimeriez nous aider. Vous n’avez pourtant que ce confinement et peut-être vos prières à nous offrir. Mais, offrez-les-nous ! L’un et l’autre nous aident, l’un et l’autre nous sont importants. »

Mais le médecin appelle aussi les aînés, il nous appelle toutes et tous aussi, à la reconnaissance, une reconnaissance à l’égard de toutes et tous ceux qui travaillent sans répit au soin des malades. Et notre endurance, c’est aussi cette reconnaissance à l’égard de tout ce qui est fait pour nous, quotidiennement. C’est avec un humour émouvant que René Prêtre appelle à cette reconnaissance : « à 21h, applaudissez nos soldats qui, au front, se battent avec tant de bravoure. Moi, je le fais avec une grosse cloche d’alpage. Elle a été fondue à mon nom par le père d’un enfant à qui j’avais réparé le cœur. J’ai longtemps pensé qu’elle n’aurait qu’une valeur décorative, jusqu’à aujourd’hui où, tous les soirs, elle résonne de son grave carillon sur mon quartier. »

Chers frères et sœurs, « c’est d’endurance que vous avez besoin. » En ce mois de mai, notre endurance est à l’école du chemin de la Passion, de la montée vers Vendredi-Saint, de Pâques et de l’Ascension. Mais nous devons nous préparer à des célébrations très particulières, et notre endurance devra se nourrir de simplicité. Les cultes se feront dans des cathédrales, des collégiales, des basiliques, des temples vides. L’épître aux Hébreux nous appelle à nous souvenir que nous sommes entourés d’une « nuée de témoins » (Hébr 12,1). Alors nous nous souviendrons de ces témoins de jadis qui ont célébré leurs cultes en des gestes simples, dans l’intimité, dans des maisons particulières, ou dans les catacombes, ou encore à l’affût dans les forêts des Cévennes, sous les ponts ou dans les grottes du Jura. Et peut-être que le message de Pâques retentira de manière d’autant plus élémentaire : « La mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? »

Amen, qu’il en soit ainsi.

https://www.youtube.com/watch?v=FFU_DsTiiKI

Dimanche Cantate – Chantez au Seigneur un cantique nouveau

Psaume: Ps 98
Epître: Col 3,12–17
Evangile: Luc 19,37–40
Ancien Testament: 2. Chroniques 5, 2-14

A écouter: Cantate dominum canticum novum de Claudio Monteverdi (2min)

A écouter et à voir: Cantate de J.S. Bach BWV 166 « Wo gehest du hin? » Bachstiftung env. 20 min. (Au cas où il y a une pub au départ, attendre quelques secondes puis cliquer à droite dans la fenêtre pour fermer la pub)

Pour réflexion: Les lieux de culte fermés, un signe de Dieu?

Dans cet article, Tomas Halik, prêtre orthodoxe de Prague, consacré clandestinement sous le régime communiste, dit: L’église doit sortir du confinement spirituel.

L’article est un peu long et pas tout facile. Alors voici un petit résumé, adapté quelque peu à la chapelle de La Chaux-d’Abel:

L’église est en premier lieu un lieu de culte et d’événements religieux. Mais, dit Halik, les églises sont inutilisées la plupart du temps et quand il y a un événement, elles sont loin d’être remplies. Les chrétiens et leur reflexion sont largement confinés dans les lieux de culte. Or Dieu, selon la Bible, est partout et Jésus était là où étaient les gens.

Alors l’église pourrait devenir davantage un lieu de …
rencontre – les gens n’ont pas tous les mêmes perspectives sur la vie, mais ils partagent tous leur humanité …
beauté : les beaux-arts, la musique, le théâtre …
miséricorde – partage de nourriture et de biens, car la précarité se répand …
débat de thèmes de spiritualité, de culture, de questions de société au quotidien …

Nous avons vu à plusieurs reprises et avec joie la chapelle de La Chaux-d’Abel devenir un lieu pour l’une ou l’autre des choses mentionnées ci-dessus. Selon la bible, le vrai culte n’est pas dans le rituel religieux, mais dans la miséricorde et l’action de justice. Les besoins sont grands et les possibilités sont multiples.

C’est peut-être dans ce domaine que se situe le cantique nouveau pour l’après Covid?

« La beauté de Dieu engloutira toute laideur, toute horreur, c’est son amour qui triomphera » dit soeur Catherine qui vit en ermite dans les Alpes du Sud de la France.

Dimanche « Jubilate » – Pour quoi, Jésus est-il mort?

Prédication par Thomas Gyger

Divers textes bibliques cités
Préparé sur la base d’articles de Gregory Boyd
Image de l’article: Lamentation sur le Christ mort, Orazio Borgianni, vers 1615

Cher amis, chers frères et sœurs en Christ,

Pourquoi ? Pourquoi la croix, pourquoi Jésus est-il mort ? Quel est la raison de la mort de Jésus ?

Pourquoi ?

Si je vous demandais pourquoi Jésus a dû mourir sur la croix, vous seriez certainement beaucoup à répondre : « Pour payer mes péchés ».

La plupart des chrétiens comprennent le sacrifice de Jésus pour nos péchés comme une sorte de transaction légale qui a eu lieu entre le Père et le Fils et qui a permis à l’humanité de « s’en sortir ».

En gros, dans nos esprits, ça se passe souvent un peu de la manière suivante :

La sainteté de Dieu exige que tout péché soit puni, et cela demande en conséquence que les pécheurs soient perdus pour toujours (dans le temps on disait « aller en enfer », aujourd’hui on le dit moins).

Le problème est que Dieu aime aussi les pécheurs et ne veut pas qu’ils aillent en enfer. Donc, pour résoudre ce dilemme, le Père a envoyé le Fils pour subir le châtiment ou la punition de nos péchés à notre place.

Sur la croix, la colère de Dieu contre le péché a été déversée sur Jésus. Donc maintenant, quand les gens croient en Jésus, leurs péchés sont pardonnés et Dieu les déclare justes.

Ainsi, les croyants ont accès à la vie éternelle au lieu de se perdre et d’aller en enfer. On parle parfois ici de substitution pénale.

Alors, je sais que certains versets bibliques peuvent être lus dans ce sens ; je pense ici en particulier à Ésaïe 53, ou Romains 3.21-26. Et je ne doute pas bien sûr que Jésus est mort à notre place et qu’il a subi toutes les conséquences de mes péchés.

Mais j’ai un peu plus de peine avec cette idée que Dieu déverse sa colère sur Jésus ou comment cela nous permettrait de nous en sortir. Ça soulève quand même des questions. Par exemple :

Si Dieu exige que quelqu’un « paie le prix » du péché avant de pardonner aux pécheurs, est-ce qu’on peut dire que Dieu pardonne vraiment les péchés de ces gens ?

Tiens, si tu me dois cinq cents francs et que je t’oblige à me rembourser à moins que quelqu’un d’autre ne me rembourse à ta place, est-ce qu’on peut vraiment dire que je t’ai remis ta dette, ou que j’ai pardonné ta dette ?

Oui bien sûr, si c’est ton voisin qui paie à ta place, tu es délivré de ta dette ; mais « pardonner », c’est autre chose. Pardonner, c’est effacer l’ardoise, ce n’est pas récupérer la mise ailleurs, vous comprenez ?

Ce qui est étrange dans cette approche de la transaction juridique, c’est qu’elle semble faire de l’expiation quelque chose qui change Dieu, plutôt que de me changer moi.

Dieu aurait déclenché sa sainte colère contre le péché en punissant Jésus sur la croix. Et cela, d’une certaine manière – mais de quelle manière au juste ? – permettrait à Dieu de me pardonner, de m’accepter. Je trouve cela troublant.

Alors, je vais peut-être vous surprendre en disant que durant le premier millénaire en tous cas de l’Histoire de l’Église, les chrétiens ont répondu autrement à notre question du début : quelle est la raison de la mort de Jésus à la Croix ?

Cette idée d’expiation des péchés par transaction légale s’est répandue seulement à partir de la Réforme, vers le 16e siècle.

Avant cela, on croyait que la raison principale de la mort de Jésus sur la croix, c’était pour vaincre Satan et nous libérer ainsi de son règne oppressif. C’est d’ailleurs intéressant que la mort et la résurrection de Jésus soit associé à la Pâque, la fête où les Juifs célèbrent la libération du peuple de Dieu de l’oppression égyptienne.

La sortie d’Egypte, la libération du peuple Juif est l’évènement centrale de l’Histoire de ce peuple. L’œuvre de libération de Jésus ne l’est pas moins pour l’humanité.

Au premier millénaire, on croyait aussi bien sûr que Jésus était mort à notre place et nous avait réconciliés avec Dieu.
Toutefois, on comprenait cela non pas comme une transaction juridique, mais comme une partie de la guerre de Dieu contre le diable. L’action principale de Jésus avait consisté à détruire le diable et libérer les humains de son oppression.

Tout le reste que Jésus a accompli, y compris payer pour nos péchés, était simplement un aspect ou une conséquence de cette victoire, mais ce qui était primordiale, c’était cette victoire.

Ce point de vue sur la mort de Jésus est appelé la vision du Christus Victor, du Christ victorieux.

Ce point de vue plus ancien sur l’action de Jésus-Christ est à mon avis plus biblique et moins problématique que le point de vue de la substitution pénale. En fait, selon ce point de vue, il faudrait davantage considérer Jésus comme quelqu’un qui est venu dans le monde pour faire une révolution dont bien sûr, il est sorti vainqueur.

Et je crois qu’une telle approche peut influencer positivement la vocation et la manière de vivre de chaque disciple de Jésus, de chaque révolutionnaire du Royaume.

Je voudrais vous inviter ce matin à considérer cette façon de voir particulière, car je crois qu’elle rend plus fidèlement toute la beauté du récit du Nouveau Testament que lorsque je m’intéresse seulement à ce que Jésus à fait pour moi, ou pour le dire de manière un peu abrupte si je me dis : la mort de Jésus, ça me rapporte quoi, à moi ?

Ce motif du Christus Victor est fortement mis en valeur tout au long du Nouveau Testament.

On peut y lire que Jésus est venu dans le monde:

  • pour « chasser le prince de ce monde » (Jn 12.31)
  • pour « détruire les œuvres du diable » (I Jn 3.8)
  • pour « détruire celui qui détenait la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable » (Héb. 2.14-15)
  • et finalement pour « mettre tous ses ennemis sous ses pieds » (I Cor 15.25).

Jésus est venu pour vaincre « l’homme fort » (Satan) qui tient le monde en esclavage ; Jésus est venu pour travailler avec ses enfants afin de « piller sa propriété » (Lc 11.21-22, la maison du diable).

Il est venu mettre fin au règne du « voleur » cosmique qui s’est emparé du monde pour « voler, abattre et détruire » la vie que Dieu nous a destinée (Jn 10.10).

Jésus est venu sur terre et il est mort sur la croix pour désarmer « les principats et les autorités » et « les livrer publiquement en spectacle » en les « entraînant dans son triomphe » (Col 2, 15).

Au-delà de ces déclarations explicites, il existe de nombreux autres passages qui expriment également le motif du Christus Victor.

Par exemple, la première prophétie de la Bible prédit qu’un descendant d’Ève (Jésus) « écraserait la tête du serpent » (Gn 3.15).

La première prédication chrétienne de l’Histoire – dans le livre des Actes – proclame que Jésus a, en principe, vaincu tous les ennemis de Dieu (Ac 2.32-36).

Et le passage de l’Ancien Testament le plus souvent cité par les auteurs du Nouveau Testament est le Psaume 110 qui prédit que le Christ allait conquérir tous les adversaires de Dieu (v. 1).
(Le Psaume 110 est cité ou suggéré dans Mt 22.41-45 ; 26.64 ; Mc 12.35-37 ; 14.62 ; Lc 20.41-44 ; 22.69 ; Ac 5.31 ; 7.55-56 ; Rm 8.34 ; I Co 15.22-25 ; Ep 1.20 ; Hé 1.3 ; 1.13 ; 5.6, 10 ; 6.20 ; 7.11, 15, 17, 21 ; 8.1 ; 10.12-13 ; I P 3.22 ; et Ap 3.21)

La fréquence à laquelle les auteurs du Nouveau Testament citent ce psaume permet d’affirmer que la victoire du Christ sur les puissances mauvaises se trouve bien au centre même de la pensée chrétienne primitive.

En bref, la mission principale de Jésus était de mettre fin à la guerre globale qui faisait rage depuis des temps immémoriaux dans le monde et de libérer ainsi les captifs de Satan (Lc 4.18 ; Ep 4.8). C’est le point de vue du Christus Victor sur l’expiation.

Le fait est que l’incarnation du Fils de Dieu, c’est avant tout une manœuvre militaire. Jésus est venu pour mettre fin à un régime d’oppression, au régime de Satan et pour reconquérir la terre, les humains et la création tout entière comme le domaine dans lequel Dieu est Roi. Il est venu pour établir le Royaume de Dieu en triomphant du royaume des ténèbres.

Donc, bien sûr, on pourrait ensuite se demander quelles sont les conséquences de cette victoire pour la vie et la manière de vivre des chrétiens ? Comment au juste les chrétiennes et les chrétiens manifestent-ils le fait qu’ils font partie de ce Royaume aujourd’hui ? Quelles sont les conséquences de cette victoire dans leurs vies ? Répondre à ces questions, c’est fondamental, mais cela dépasserait le cadre de la prédication de ce matin ; j’y reviendrai une prochaine fois.

Tout ce que Jésus a accompli – y compris révéler le caractère de Dieu, mourir à notre place et nous donner un exemple à suivre – peut être compris comme autant d’aspects de sa campagne militaire pour vaincre les puissances du mal.

Il nous a libéré de l’esclavage du péché et de la culpabilité (Rm 6.7) ainsi que de la loi comme moyen d’essayer d’acquérir la justice devant Dieu par nous-mêmes (Gal 2.16).

Mais la réalité la plus fondamentale dont nous sommes libérés est le diable. Nous avons été esclaves du péché et de la condamnation principalement parce que nous étions esclaves de Satan.

En nous « rachetant » de cet esclavage, en nous sauvant de ce royaume (Col 1.13 ; Gal 1.4), le Christ nous a en principe aussi rachetés de toute autre forme d’esclavage.

Il était prêt à faire tout ce qu’il fallait – à payer le « prix » nécessaire nous libérer du malin. Il a fallu que le Fils de Dieu devienne un homme et meure d’une mort terrible sur la croix.

D’une manière mystérieuse, cet événement a « désarmé », « chassé », « ligoté », « condamné » et « détruit » le « dieu de ce temps » qui nous avait tenus en esclavage (Col 2.15 ; Jn 12.31 ; 16.11 ; 2 Co 4.4 ; Hé 2.14).

Il a ainsi intronisé le Fils de Dieu comme roi légitime de l’univers de son Père, c’est la fameuse allusion prophétique déjà présente dans le Psaume 110.

La mort de Jésus a donc signifié la liberté, la libération, la rédemption et le salut complet pour toute personne précédemment asservie, qui était disposée à les recevoir.

Ainsi, la croix et la résurrection n’étaient pas d’abord et avant tout pour nous. Il s’agissait de vaincre le mal. Du point de vue du NT, le mal est quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus puissant, de beaucoup plus global et de beaucoup plus envahissant que ce qui se manifeste dans notre petite vie modeste, dans mon petit contexte personnel, influencé par ma petite volonté.

Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne sommes pas mauvais nous-mêmes, et que nous n’ayons pas besoin de Christ pour notre salut. Mais le Christ n’a fait cela que parce qu’il a fait quelque chose d’encore plus fondamental : il a porté un coup mortel à Satan et a repris le pouvoir légitime qu’il exerçait sur toute la création.

Le mal ne peut être vaincu dans notre vie que parce que le « malin » qui régnait auparavant sur un plan beaucoup plus global a lui-même été vaincu.

Nous ne sommes libérés que parce que le cosmos tout entier a été libéré de celui qui l’avait asservi auparavant. Et nous ne sommes réconciliés avec Dieu que parce que le cosmos tout entier, et l’ensemble du monde spirituel, a été réconcilié avec Dieu.

On objectera à juste titre : oui, mais alors pourquoi les guerres, les famines, les injustices, les maladies n’ont-elles pas cessées ? Un théologien avait utilisé un jour l’image du débarquement de Normandie durant la Deuxième Guerre Mondiale : le jours du débarquement par les alliés, le sors d’Hitler était scellé. Il avait perdu la guerre. Mais il a fallu encore près d’une année pour terminer la guerre.

Avec la victoire du Christ, Satan a été définitivement vaincu, mais les forces du mal sont encore capable de se déchaîner jusqu’au retour du Seigneur. Après ce sera terminé. Dieu a donc choisi de nous rejoindre physiquement dans notre réalité par l’envoi de son Fils Jésus-Christ ; c’était son désir de nous rejoindre et de se réunir avec nous.

Mais à cause de la présence des puissances du mal, à cause de notre rébellion et de notre péché, cette venue de Dieu dans le monde était aussi assortie d’une mission de sauvetage.

Pour ça, le Seigneur avait prévu une stratégie pour vaincre les puissances des ténèbres, une stratégie qui déboucherait sur sa victoire, celle du Christus Victor.

Chers amis, c’est de cela que nous nous souvenons ces jours, avec la Croix qui est un premier acte, suivi d’un autre le matin de Pâques. Que le Seigneur vous bénisse et que vous puissiez tout à nouveau prendre conscience de toute la dimension de son œuvre de salut.

Amen.